Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, l'Europe se
trouve dans une situation énergétique et géopolitique sans précédent. Le gaz
naturel, un pilier central de l'approvisionnement énergétique européen, est
rapidement devenu une arme économique et politique utilisée par la Russie.
Avant le début du conflit, l'Europe dépendait à près de 40 % des importations
de gaz russe pour ses besoins énergétiques, une réalité qui a soulevé de
nombreuses questions quant à sa vulnérabilité face à la Russie. L'UE a cherché
à diminuer cette dépendance tout en maintenant la stabilité économique de ses
États membres.
L'un des principaux objectifs de l'Union européenne après l'invasion a été
de réduire cette dépendance, tout en maintenant une stabilité énergétique pour
ses citoyens et ses industries. Cependant, cette transition n'est pas simple.
Le gaz naturel est non seulement essentiel pour la production d'électricité,
mais aussi pour le chauffage domestique et les processus industriels. Des pays
comme l'Allemagne, la France et l'Italie ont des infrastructures fortement
dépendantes du gaz russe, et trouver des alternatives viables dans un court
laps de temps a été un défi majeur.
Les changements dans la politique énergétique française
Avant la guerre en Ukraine, la France, comme beaucoup de pays européens,
n'était pas aussi focalisée sur la nécessité de diversifier ses sources
d'approvisionnement en énergie. Cependant, le déclenchement de la guerre et
l'imposition de sanctions contre la Russie ont complètement bouleversé la
politique énergétique du pays. Alors que l'Union européenne visait à réduire
ses achats de pétrole et de gaz russes, la France s'est retrouvée dans une
situation paradoxale : elle a augmenté ses importations de gaz naturel liquéfié
(GNL) russe.
Cette augmentation des importations, surtout dans les premiers mois de 2024,
a surpris de nombreux observateurs, car elle semble contredire les objectifs
politiques et énergétiques à long terme de l'UE. Alors que d'autres pays, comme
la Belgique et l'Allemagne, ont réussi à réduire considérablement leurs
importations de GNL russe, la France a adopté une approche plus pragmatique en
maintenant ces importations, justifiées par des contraintes contractuelles et
logistiques. TotalEnergies, le géant de l'énergie français, a notamment
expliqué que les contrats de fourniture de GNL avec la Russie avaient été
conclus avant le début du conflit en Ukraine, et qu'il était difficile, voire
impossible, de les annuler sans subir de lourdes pénalités.
L’augmentation des importations de GNL en 2024
La France, comme d'autres pays européens, a pris des mesures pour
diversifier ses sources d'énergie, en augmentant notamment ses importations de
gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance de divers pays comme les États-Unis,
le Qatar et la Norvège. Cependant, malgré ces efforts, on constate une
augmentation significative des importations de GNL en provenance de Russie en
2024, une évolution qui a suscité des critiques acerbes de la part des soutiens
de l'Ukraine. Durant le premier semestre de 2024, la France a importé plus de
4,4 milliards de mètres cubes de GNL russe, contre seulement 2 milliards au
cours de la même période en 2023. Ce chiffre représente une augmentation de
plus de 100 %, une croissance alarmante à une époque où l'Union européenne
cherche à se libérer de sa dépendance vis-à-vis de la Russie.
En parallèle, les importations de GNL russe dans d'autres pays de l'UE ont
également augmenté de 7 % en moyenne, une tendance qui soulève des questions
quant à l'engagement réel de l'Europe dans sa quête d'indépendance énergétique.
Des pays comme l'Espagne, la Grèce et la Pologne ont tenté de limiter leurs
approvisionnements en GNL russe, mais cette tendance n'est pas universelle.
Les motivations économiques derrière ces importations
Plusieurs facteurs économiques expliquent cette augmentation des
importations de GNL russe, malgré les efforts pour diversifier les sources
d'approvisionnement. Premièrement, le gaz russe reste relativement bon marché
par rapport aux autres sources disponibles sur le marché international. Les
contrats à long terme signés avant l'invasion garantissent des prix
compétitifs, ce qui incite certaines entreprises à continuer de se fournir en
Russie. TotalEnergies, l'une des plus grandes entreprises énergétiques françaises,
a justifié ses importations continues en arguant que les contrats avaient été
conclus bien avant le conflit en Ukraine.
Deuxièmement, la géographie joue un rôle clé. Les infrastructures
existantes, comme les terminaux de regazéification, sont mieux adaptées à
l'importation de gaz provenant de la Russie que de certaines autres régions du
monde. De plus, la proximité relative de la Russie par rapport à la France et
aux autres pays européens réduit les coûts de transport, ce qui en fait une
option économiquement viable, même en période de tensions géopolitiques.
Les critiques face à cette dépendance persistante
Cette augmentation des importations de GNL russe a suscité de vives
critiques, notamment de la part des soutiens de l'Ukraine et des défenseurs de
la transition énergétique. En continuant d'importer du gaz russe, l'Europe, et
la France en particulier, contribue indirectement à financer l'effort de guerre
russe en Ukraine. Cela crée une dissonance morale et éthique, alors que l'Union
européenne a imposé des sanctions économiques sévères à la Russie. Oleh
Savytskyi, fondateur de l'organisation "Razom We Stand", a exprimé
ses inquiétudes quant à l'impact de ces importations sur les efforts de
transition énergétique de l'Europe.
Selon lui, chaque euro versé à la Russie pour l'achat de GNL contribue à
affaiblir les efforts visant à mettre fin au conflit en Ukraine. De plus, il
affirme que cette dépendance énergétique persistante retarde les
investissements dans des sources d'énergie plus durables, telles que l'éolien
et le solaire, et prolonge la dépendance de l'Europe aux combustibles fossiles.
Les alternatives au GNL russe : un défi logistique
Pour réduire cette dépendance, l'Europe a cherché à diversifier ses sources
d'approvisionnement en gaz, notamment en augmentant les importations en
provenance des États-Unis, du Qatar et de l'Afrique. Cependant, cette
diversification s'accompagne de défis logistiques majeurs. La capacité des
terminaux de regazéification en Europe, bien qu'en expansion, reste limitée. De
plus, certains pays européens, comme l'Allemagne, ne disposent pas encore d'une
infrastructure suffisante pour recevoir de grandes quantités de GNL d'autres
régions du monde.
En France, avec ses sept terminaux de GNL, le pays est bien placé pour jouer
un rôle de carrefour dans la redistribution du gaz en Europe. Cependant, même
avec ces infrastructures, il n'est pas toujours possible d'augmenter rapidement
les importations en provenance de fournisseurs alternatifs, en particulier
lorsque des événements géopolitiques perturbent les chaînes d'approvisionnement
mondiales, comme cela a été le cas avec les attaques des rebelles houthis dans
le canal de Suez.
Les coûts sociaux et environnementaux
Au-delà des considérations géopolitiques, la hausse des importations de GNL
russe soulève des questions sur les coûts sociaux et environnementaux de la
transition énergétique. La transition vers des sources d'énergie renouvelables,
telles que l'éolien et le solaire, nécessite des investissements massifs, et
une dépendance prolongée au gaz, qu'il soit russe ou non, risque de retarder
ces investissements. De plus, les fluctuations des prix de l'énergie sur le
marché international peuvent avoir des répercussions importantes sur le coût de
la vie, en particulier pour les ménages les plus vulnérables.
L'Union européenne, dans ses efforts pour réduire les émissions de carbone
et atteindre la neutralité climatique d'ici 2050, se trouve confrontée à un
dilemme : comment concilier la sécurité énergétique à court terme avec les
objectifs à long terme de transition écologique ? L'achat de GNL russe, bien
qu'économiquement avantageux, pourrait compromettre les efforts de l'Europe
pour accélérer sa transition vers des énergies renouvelables.
Le rôle du GNL dans la stratégie énergétique à long terme de la
France
En France, le gaz naturel joue un rôle central dans la production d'énergie,
bien que le pays s'appuie également sur une forte production d'énergie
nucléaire. Toutefois, avec les objectifs de décarbonation fixés par l'Union
européenne, la France s'efforce de réduire sa dépendance aux combustibles
fossiles, y compris le gaz. Cela signifie qu'à long terme, la stratégie
énergétique du pays devra s'orienter davantage vers des solutions renouvelables
et des technologies innovantes, comme l'hydrogène vert.
Cependant, la mise en place de ces infrastructures prendra du temps, et le
gaz naturel, y compris le GNL russe, continuera probablement de jouer un rôle
dans le mix énergétique de la France pendant encore plusieurs années. Ce
dilemme met en lumière la complexité des décisions à prendre en matière de
politique énergétique, où des considérations économiques immédiates doivent
être équilibrées avec des objectifs environnementaux à long terme.
Perspectives d'avenir pour la politique énergétique européenne
L'avenir de la politique énergétique en Europe dépendra en grande partie de la capacité des États membres à diversifier leurs sources d'approvisionnement en gaz et à investir massivement dans des infrastructures d'énergies renouvelables. Le développement de technologies telles que les batteries à grande échelle, les énergies éolienne et solaire, ainsi que l'hydrogène vert, sera crucial pour réduire la dépendance de l'Europe au gaz naturel.
Dans le cas spécifique de la France, des efforts accrus seront nécessaires pour réduire sa dépendance aux importations de GNL, qu'elles proviennent de Russie ou d'autres régions. L'augmentation des capacités de production d'énergies renouvelables, ainsi que l'amélioration de l'efficacité énergétique, joueront un rôle clé pour atteindre les objectifs de neutralité carbone fixés pour 2050.