les relations commerciales entre les États-Unis et le Canada : une nouvelle
phase délicate
Les relations commerciales entre les États-Unis et le Canada, historiquement
marquées par une étroite coopération mais aussi par des périodes de frictions,
traversent une nouvelle phase délicate. Au cœur de ce nouvel épisode se trouve
la taxe sur les services numériques (TSN) que le Canada envisage de mettre en
place. Cette taxe, visant les grandes entreprises technologiques qui tirent des
revenus significatifs du marché canadien sans y payer une part d'impôts
proportionnelle, a suscité une vive réaction de la part des États-Unis.
Washington a officiellement demandé l'ouverture de pourparlers dans le cadre de
l'Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), un acte qui pourrait ouvrir la voie
à un différend commercial majeur, avec la menace de représailles sous forme de
tarifs douaniers américains sur les importations canadiennes.
La taxe sur les services numériques : une mesure controversée
La TSN proposée par le Canada s'inscrit dans un contexte global où de
nombreux pays cherchent à adapter leur fiscalité à l'ère du numérique.
L'objectif est de mieux capter les revenus générés par les géants de la
technologie, tels que Google, Facebook et Amazon, qui réalisent des bénéfices
considérables dans de nombreux pays sans y être assujettis à un niveau
d'imposition jugé équitable. Le Canada envisage ainsi d'imposer une taxe de 3 %
sur les revenus de ces entreprises issus de la publicité en ligne, des
plateformes numériques et des ventes de données des utilisateurs canadiens.
Cette initiative, bien que soutenue par une partie de l'opinion publique
canadienne et certains partis politiques, a été critiquée par les États-Unis,
qui y voient une discrimination à l'encontre des entreprises américaines.
Washington argue que cette taxe violerait les principes du commerce
international et pourrait créer un précédent dangereux, incitant d'autres pays
à adopter des mesures similaires, ce qui fragmenterait davantage l'économie
numérique mondiale. De plus, les entreprises américaines, déjà confrontées à
une concurrence mondiale féroce, craignent que cette taxe n'augmente leurs
coûts d'exploitation et les mette en position désavantageuse par rapport à
leurs concurrents internationaux.
L'ACEUM : un cadre pour la résolution des différends
L'Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), qui a remplacé l'Accord de
libre-échange nord-américain (ALENA) en 2020, prévoit un mécanisme de
résolution des différends commerciaux entre les trois nations. En sollicitant
l'ouverture de pourparlers, les États-Unis activent ce processus pour tenter de
trouver une solution avant que la situation ne dégénère en un conflit ouvert.
Ce mécanisme a été mis en place pour offrir aux parties concernées un moyen
structuré de discuter des différends sans recourir à des représailles
immédiates qui pourraient nuire aux relations commerciales.
Les États-Unis affirment que la TSN canadienne contrevient à l'esprit et aux
termes de l'ACEUM, en imposant une charge disproportionnée sur les entreprises
américaines. De leur côté, les autorités canadiennes défendent leur projet en
soulignant que la taxe est conçue pour créer une fiscalité plus juste et plus
adaptée aux réalités de l'économie numérique. Elles soutiennent également que
l'application de cette taxe est essentielle pour financer des initiatives
sociales et environnementales au Canada, dans un contexte où les gouvernements
doivent faire face à des défis budgétaires croissants.
La demande américaine de consultations marque le début d'une période de
négociations, au cours de laquelle les deux pays tenteront de trouver un
terrain d'entente. Si aucun compromis n'est atteint, les États-Unis pourraient
décider de prendre des mesures de rétorsion, notamment en imposant des tarifs
douaniers sur certains produits canadiens, une pratique déjà observée lors de
précédentes disputes commerciales. L’incertitude entourant ces négociations
peut également affecter la confiance des investisseurs, qui pourraient hésiter
à investir dans des secteurs vulnérables aux fluctuations des politiques
commerciales.
Les répercussions potentielles des représailles américaines
La menace de représailles américaines, sous la forme de tarifs douaniers,
est loin d'être anodine pour le Canada. Les États-Unis représentent le
principal partenaire commercial du Canada, absorbant une grande partie de ses
exportations, notamment dans les secteurs de l'automobile, de l'aluminium, de
l'acier et de l'agriculture. Des tarifs douaniers sur ces produits pourraient
avoir des répercussions économiques significatives, affectant la compétitivité
des exportateurs canadiens et entraînant une hausse des prix pour les
consommateurs américains.
Lors de la dernière grande dispute commerciale entre les deux pays, portant
sur l'acier et l'aluminium en 2018-2019, les tarifs américains avaient provoqué
une réponse immédiate du Canada, qui avait imposé des contre-tarifs sur une
série de produits américains. Ce conflit, bien qu'éventuellement résolu par
l'accord entre les deux nations, avait eu un impact négatif sur les économies
des deux pays et sur leur relation diplomatique. L'industrie canadienne, en
particulier, avait subi des pertes importantes en raison des incertitudes liées
à la politique commerciale américaine.
Une question de souveraineté fiscale et de justice économique
Pour le Canada, l'enjeu de la TSN dépasse le simple cadre des relations
commerciales avec les États-Unis. Il s'agit d'une question de souveraineté
fiscale et de justice économique. De nombreux pays, y compris certains membres
de l'Union européenne, envisagent ou ont déjà mis en place des taxes
similaires, dans un effort pour s'assurer que les géants du numérique
contribuent équitablement aux recettes publiques. Le gouvernement canadien voit
dans cette taxe une manière de garantir que les entreprises tirant profit de la
richesse numérique canadienne paient leur juste part, notamment à un moment où
les finances publiques sont sous pression en raison des dépenses liées à la
pandémie de COVID-19 et à d'autres priorités économiques.
Cependant, le gouvernement canadien doit également naviguer prudemment pour
éviter de déclencher une guerre commerciale avec son principal partenaire
économique. La question est de savoir si le Canada pourra trouver un compromis
qui lui permette de poursuivre son objectif de taxation numérique tout en
évitant des sanctions économiques de la part des États-Unis. Cette situation
soulève également des interrogations sur l'efficacité de la coopération
bilatérale en matière de réglementation fiscale et sur les normes communes à
établir pour les entreprises opérant dans plusieurs juridictions.
Le rôle des négociations internationales et des institutions multilatérales
Alors que le Canada et les États-Unis se préparent à entrer dans des
discussions potentiellement tendues, le rôle des institutions internationales
et des négociations multilatérales devient crucial. L'Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) travaille depuis plusieurs
années sur un cadre global pour la taxation des entreprises numériques, visant
à éviter les actions unilatérales et à créer un système fiscal international
plus harmonisé. Un accord multilatéral sur cette question pourrait offrir une
solution à long terme et éviter de futures disputes bilatérales.
De plus, le soutien d'autres pays pour une réforme de la fiscalité numérique
pourrait renforcer la position du Canada dans les négociations avec les
États-Unis. En collaborant avec d'autres nations qui partagent des
préoccupations similaires, le Canada pourrait créer une coalition qui milite
pour une fiscalité équitable pour les entreprises numériques, augmentant ainsi
la pression sur les États-Unis pour qu'ils reconsidèrent leur opposition à la
TSN. Ce type de collaboration internationale est essentiel pour résoudre des
problèmes complexes qui transcendent les frontières nationales.
En attendant, le Canada pourrait chercher à s'appuyer sur l'ACEUM pour
défendre sa position, tout en explorant des alternatives pour minimiser les
risques de représailles. L'issue de cette dispute dépendra largement de la
capacité des deux pays à trouver un compromis qui réponde aux préoccupations de
chacun, tout en préservant la stabilité de leur relation économique. Le Canada
devra également évaluer l'impact potentiel de ses décisions sur ses relations
avec d'autres partenaires commerciaux importants.
Conclusion : un équilibre délicat à trouver
Les tensions commerciales autour de la TSN montrent à quel point l'économie
mondiale est interconnectée et à quel point les décisions fiscales nationales
peuvent avoir des répercussions internationales. Alors que le Canada et les
États-Unis entament des pourparlers dans le cadre de l'ACEUM, l'issue de cette
dispute aura des implications importantes non seulement pour les deux pays,
mais aussi pour l'ensemble de l'économie numérique mondiale. Le Canada se
trouve à un carrefour où il doit concilier sa souveraineté fiscale avec la
nécessité de maintenir une relation commerciale stable avec son principal
partenaire économique.
Les négociations qui s'annoncent sont cruciales, non seulement pour le
Canada et les États-Unis, mais également pour la direction future des
politiques fiscales à l'échelle mondiale. Un échec à parvenir à un accord
pourrait non seulement entraîner des conséquences économiques pour les deux
nations, mais également ouvrir la voie à une fragmentation de l'économie
numérique, avec des pays adoptant des approches divergentes qui compliquent
davantage les échanges commerciaux internationaux.
Ainsi, la capacité des gouvernements à trouver un terrain d'entente sur
cette question complexe sera déterminante pour l'avenir des relations
économiques entre le Canada et les États-Unis et pourrait également influencer
le cadre réglementaire international concernant la taxation des entreprises
numériques dans les années à venir.